lundi 31 janvier 2011

semaine 41: Le Balattou

Mois de janvier, il fait frette.  Il y a plusieurs manières de se réchauffer lorsqu'il fait -20 dehors, et à part les parties de jambes en l'air sous une grosse couette ou aller passer la soirée chez papa et maman parce qu'ils ont un foyer, il y a le Balattou.  Une belle discothèque tropicale que quand tu passes devant, sur St-Laurent, avec sa grosse bannière illuminée noir sur blanc, t'as l'impression qu'à l'intérieur, ça va être huge.  Et ben non.

J'ai texté pas mal de monde pour les inviter à découvrir le Balattou avec moi, parce plus on est de cons, plus c'est l'fun; reçu très peu de réponses -d'autres ont choké comme des champions, alors finalement, la seule qui s'est forcé le derrière à venir avec moi, c'est ma femme Karine.  Elle habite à un bloc de là, un peu facile direz vous, mais c'est aussi pratique pour se donner rendez vous et boire une bière pas cher au chaud avant de sortir.  Pendant que j'étais dans le métro, elle m'a appellé pour me dire qu'elle serait possiblement dans la douche et qu'elle avait laissé la porte débarrée.  Je suis entrée chez elle, je lui ai hurlé bonjour à travers la porte de la toilette, et j'ai écouté la musique qui jouait.

- Est-ce que t'as mis la radio Haïti?!

- HAHAHA ouiiiiiiiiiiiiiiii!  Je voulais te mettre dans l'ambiance, elle a crié de sous la douche.

Après avoir potiné sur nos vies respectives en buvant la Molson Dry qui traînait dans mon mini frigo à alcool depuis la semaine 33 (le Word Up Battle- c'est ici qu'on remarque que je suis une ivrogne et non pas une alcoolique), on a enfilé nos manteaux et on a marché le coin de rue qui nous séparait de notre destination.  En approchant du club, on s'est mis à rigoler, et on s'est dit encore une fois "mais dans quoi on s'embarque, là", et on s'est imaginé plein de trucs, du genre "on va être les deux seules blanches de toute la place" ou "ça va virer comme au karaoké clandestin vietnamien" (semaine 34).  Wrong, and wrong.

Pas de cover: ça c'est l'fun.  Quand on est entré au Balattou, il y avait un genre de spectacle avec des tams tams et ben du monde qui dansaient devant la scène, mais on a pogné les dernières mesures; on était même pas encore assises que les gens ont applaudi, la foule s'est dissipée et les musiciens ont quitté les planches.  Après avoir essuyé nos lunettes embuées pour enfin voir quelque chose, on a commandé une bière et on a observé le tout.  Première constatation: il y a au moins autant de blancs que de noirs que de whatever-c'est-quoi-ta-nationalité, et beaucoup, beaucoup de dreads.  Je ne comprends pas ça, les dreads, même si j'en ai eu pendant deux ans de ma vie, de seize à dix-huit, pendant ma période 'je suis une hippie...NOT' et je pense aujourd'hui que c'est la seule chose que je regrette de mon passé.  Les dreads, parce que j'avais vraiment plus de cheveux avant (je ne suis pas chauve, loin de là, mais j'en avais vraiment plus avant) et que y'a une partie de mes cheveux qui retournent systématiquement en dreads si je ne les peigne pas; ça, et la luxation de la rotule gauche que je me suis fait en tombant sur le trottoir, comme une grande, après une éprouvante nuit éthylique de bière radioactive.  Pourquoi je raconte ça, c'est à voir plus loin.  Bref, on était là, assises dans notre banquette vraiment pas faite pour les gros culs, et on a remarqué un dude, chemise blanche du genre je-porte-une-chemise-de-lin-blanc-sur-la-plage-regarde-comme-elle-pogne-bien-dans-le-vent, et il regardait les filles avec un regard pervers, le menton bien enfoncé dans le cou, replis inclus, et un sourire extra-cochon. 

- Lui, il a tellement l'air d'un gars qui s'en va en République Dominicaine, se paye une fillette de 13 ans et sa mère, les fourre les deux en même temps et s'en va se vanter de ça à ses amis après, j'ai crié à l'oreille de Karine, essayant d'enterrer la musique trop forte.

Il y a une fille qui est passée devant nous, avec un espèce de vêtement en tricot rouge vin, et je me suis rappellé que j'en avais un presque pareil, dans mon temps d'hippisme, et ça m'a fait rire de voir que y'a encore un marché pour les tricots; la seule chose de triste là dedans, c'est que moi j'avais quinze ans, et je n'avais aucune idée de ce qui était flatteur ou pas, et que cette fille là était clairement en haut de vingt-cinq ans. 

- Regarde la fille là bas, avec le coat de cuir, comment elle roule ses hanches, a remarqué Karine.  Je suis incapable de faire ça moi; un jour j'étais dans un party et y'a un black qui m'avait invitée à danser, et après peut-être deux minutes il était parti.  Je dansais juste trop mal, mécanique, carré, je roulais pas.  Pas capable.

Et hop, un ami s'est assis à côté de Karine et a commencé à baragouiner des choses, et après un bon cinq minutes de conversation, on a compris qu'il ne parlait qu'espagnol et qu'on jasait avec lui pas mal pour rien parce que ni l'une ni l'autre ne parlons espagnol -à part le "una cerveza fria por favor" suivi du "dos mas" habituel-, alors on a continué d'observer la place.  On a regardé une fille qui dansait avec son copain suavement suivi d'un "ouach, elle sue du dos" de la part de Karine, une belle vieille madame en toge colorée et grosses breloques dans le cou qui dansait en twirlant, un genre de hipster mi-âge qui tentait sans succès de cruiser la serveuse, qui elle était juchée sur ses talons aiguilles rouges et semblait désemparée, la République qui continuait de matter les femmes, et notre ami hispanophone qui nous disait toujours qu'il revenait dans deux minutes même si on ne bavardait pas avec lui.

- Karine, ne regarde pas, mais la République vient de nous lancer un regard coulant, j'ai marmonné.

Un dude s'est matérialisé devant moi et m'a tendu la main pour aller danser. Pfff, yeah right.

- Oh, merci, mais je ne peux pas danser, j'ai dit en insistant sur le 'peux' et en réfléchissant bien fort pour trouver la meilleure excuse ever pour ne pas y aller.

Évidemment, il a répondu ce que je m'attendais:

- Tu ne peux pas?

Bon, je ne danse pas moi.  Je dansais, auparavant, et il peut m'arriver de danser encore quand j'ai beaucoup bu, mais depuis que je travaille derrière un bar et que j'observe les gens qui dansent, franchement, il y en a qui font dur en criss.  Puisque je refuse d'avoir l'air de ça, je préfère rester assise et rigoler avec le monde qui m'entoure plutôt que de me dandiner, et dans ce cas-ci, me frotter le cul sur l'entrejambe d'un inconnu.  Et c'est maintenant que le lien de mon accident intempérant discuté un peu plus haut dans le texte fait son entrée:

- Non, j'ai eu un accident il y a de ça trois semaines, je ne peux pas danser, mon genou n'est pas encore assez fort pour ça.

Et là, puisqu'il semblait s'intéresser à moi, il m'a assurément demandé des détails, et j'ai dû inventer que j'avais eu un accident de voiture, pas très grave, que je n'étais pas la conductrice (quand même!) et tralala.  Il s'est assis à côté de moi sur la banquette, et m'a demandé:

- Est ce que je peux m'asseoir?

Je lui ai fait un regard qui voulait dire toi-tu-es-un-petit-futé-parce-que-tu-es-déjà-assis-et-anyway-ai-je-le-choix, et il s'est présenté: Philippe.  Il m'a demandé ce que je faisais dans la vie, j'ai répondu brièvement suivi du "toi?" traditionnel.  Et là, j'ai complètement décroché parce que ses réponses étaient non seulement plates et longues, mais il sentait le cendrier qui a passé la journée sous la pluie.  Entre deux de ses phrases, j'ai regardé Karine et je lui ai demandé si elle voulait aller fumer une clope.  D'un accord tacite, on a enfilé nos manteaux et on est parties.

- Je commençais à rusher, il ne voulait pas me croire quand j'ai dit au gars que j'étais lesbienne, m'a dit Karine, en marchant sur le trottoir.

- Rahlala, Karine, c'est quand que tu vas arrêter de dire ça, ça marche jamais...

- Ben, tu as sorti le truc de l'accident, fallait ben que je trouve une excuse rapide pour ne pas aller danser, j'avais pas envie moi non plus!

Conclusion de ma soirée au Balattou: si j'étais une black, j'aurais un afro.

les deleted scenes sur http://www.33mag.com/!